Les meubles de la Bourgogne
Atelier Bence
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Le mobilier bourguignon ? Les mobiliers, devrait-t-on dire. Jusqu'à Mâcon, nous sommes en Bourgogne viticole. Les meubles de style Louis XIII, à lignes droites et pointe de diamant, ont dominé jusqu'au XIX ème siècle. A partir de Chalon, on note une influence méridionale certaine, avec des lignes courbes. La qualité du meuble, dans le nord, tient à ses proportions ; dans le sud, à l'ornementation. Où est la frontière ? Entre Beaune et Chalon.
Armoire type de la Bourgogne du nord. Pieds miches,
dits aussi en flamusses
En 1359, Jean de Bussières, abbé de Citeaux, fait don de trente pièces de sa récolte de Clos Vougeot au pape Grégoire XI. Le cadeau est apprécié. Quatre ans plus tard, en remerciement, notre abbé reçoit du Saint-Siège le chapeau de cardinal. Entre Dijon et Mâcon s'étirent, face au soleil levant, des fameuses côtes où s'épanouit la vigne. En contrebas : la plaine qui paresse jusqu'à la Saône. Plus à l'ouest : les Hautes-Côtes, une région d'élevage, où forêts et pâturages alternent en des paysages superbement vallonnés. Petite partie d'un vaste duché (il s'étendra, sous le règne de Charles le Téméraire, à la fin du XV ème siècle, avant son rattachement à la France, jusqu'en Frise, aux Pays-Bas), ce couloir nord-sud, constitue (sans doute) le coeur de la Bourgogne, là où le caractère bourguignon semble s'affirmer avec le plus d'intensité, où il est ressenti le plus profondément par ses habitants.
Au XII ème siècle les communautés religieuses, en particulier les cisterciens, transforment en vignoble des terres jadis dévolues aux forets. Les terroirs de Pommard, Meur-sault, Aloxe-Corton, Vosne, Chambolle, Clos-Vougeot... se constituent. Depuis ce temps le vin ne cesse de faire la renommée de cette fameuse Côte-d'Or. Beaune, capitale du Duché jusqu'au XIV ème siècle, en organise, au XVIII ème siècle, le commerce et expédie bien au-delà des frontières, en Angleterre, Suisse, Allemagne et jusque dans les pays Scandinaves, des crus désormais réputés.
Capitale du duché, Dijon connaît, au temps des "Grands Ducs de l'Occident" (Philippe le Hardi, Jean sans Peur, Philippe le Bon, Charles le Téméraire) un rayonnement extraordinaire. Les plus grands artistes, flamands en particulier, y séjournent et y travaillent. Après le rattachement de la Bourgogne à la France, au XVI ème siècle, la ville conserve cette même aura. Le gouvernement y siège, les "Etats" de Bourgogne y tiennent leurs assises. C'est une ville riche. Architecte, sculpteur, dessinateur, Hugues Sambin s'y illustre à la fin du XVI ème siècle. Une "école" bourguignonne s'affirme, faite de rigueur, d'équilibre et d'une certaine noblesse. Le mobilier s'en souvient aux cours des siècles suivants.
A la fin du XVIII ème, époque prospère, s'installent à Dijon deux ateliers d'ébénistes qui acquièrent rapidement une bonne renommée : Courte et Demoulin. L'un et l'autre ont fait leur apprentissage à Paris avant de venir s'installer, vers 1780, en Bourgogne. Les deux produisent un mobilier de qualité, où alternent les meubles marquetés, proches du mobilier parisien, et des pièces en bois fruitier, généralement du noyer, plus spécifiquement locales, peu ornées, aux lignes rigoureuses et bien proportionnées. Qualités que l'on reconnaît volontiers au mobilier bourguignon en son ensemble. Pourtant, curieusement, il n'y a pas un mobilier bourguignon, mais deux. Entendons-nous ! Une ligne idéale, reliant approximativement Cluny à Chalon serait la frontière entre le mobilier de la Bourgogne du nord et celui de la Bourgogne du sud. Le premier, au nord et sur les côtes, rectiligne, structuré, équilibré, a conservé tout au long des XVIII ème et XIX ème siècles un type de construction hérité du XVII ème siècle, en particulier du style Louis XIII, avec ses décors en "pointes de diamant", ses corniches droites, ses panneaux encadrés de moulures, ses pieds aplatis en "flamusses", dits aussi "pieds-miche". Armoires à une ou deux portes, buffets à deux corps bâtis sur ce principe se retrouvent tout autour de Dijon et sur les côtes de Nuits, de Beaune, voire de Chalon.
Le second, au sud, beaucoup plus sculpté, fleuri, a subi l'influence des styles Louis XV, Louis XVI et même Directoire ou Charles X, dans un amalgame savoureux. La rigueur et l'équilibre au nord, le charme et le brio au sud !
Ce clivage, on s'en doute, est un peu schématique, le partage n'est pas si simple. Il est néanmoins remarquable qu'autour de Chalon, Tournus, dans la plaine, entre le vignoble et la Saône, s'épanouit un mobilier dont on ne retrouve pas l'équivalent au nord, Un village est le berceau de ce phénomène, Sennecey-le-Grand. Il donnera son nom à un style. C'est un village de la plaine, à deux pas de Tournus. Détail important Au XIX ème siècle en effet, de nouvelles cultures apparaissent dans cette contrée qui borde la Saône, où toutes les tentatives d'implantation de la vigne se sont soldées par des échecs. Le colza en particulier, prospère, apporte une nouvelle richesse. Ainsi apparaît un mobilier, d'abord plus bourgeois que populaire, plus sensible à des modes extérieures qu'à la tradition locale. Mais l'ailleurs est parfois tout proche. La Bresse, de l'autre côté de la rivière, connaît elle aussi à la même époque une nouvelle prospérité et donne naissance à un mobilier très spécifique. Le meuble de Sennecey a d'évidentes parentés avec le mobilier bressan. Mais les influences ne se limitent pas à la Bresse voisine. A Chalon vivent des mariniers. L'ouverture du Canal du Centre, au début du XIX ème siècle, fait de l'axe Saône-Rhône une voie fréquentée à une époque où il est plus rapide de voyager par eau que par terre. Les échanges avec le sud, en particulier la Provence, se multiplient. Des soupières, si typiques du mobilier provençal, que l'on rencontre quelquefois sur des meubles chalonnais, trahissent cette influence.
L'armoire est le meuble le plus typique de Sennecey. De grandes dimensions, très ornementée, dotée de fiches imposantes, rehaussée de garnitures exubérantes fabriquées localement, elle est entièrement en noyer, mais de deux tons. La ronce, aux dessins joliment chamarrés, est en effet généralement utilisée pour les panneaux des portes soulignés de traverses sinueuses. La ceinture découpée, le faux-dormant, le bandeau, sous la corniche accueillent des sculptures opulentes. Fleurs et fruits sont les thèmes le plus fréquents. Y figurent feuilles de chêne et glands, symboles de virilité, et le lierre, symbole de féminité et de fidélité, qui sont les emblèmes du mariage, tout comme la corne d'abondance synonyme de prospérité. L'armoire est en effet traditionnellement apportée en dot par la jeune fille lors de ses noces. C'est un investissement important : son prix équivaut le plus souvent à plus d'un an de revenus. Le nom de la promise est parfois gravé, avec la date, dans une cartouche, sur la ceinture, près du tiroir où elle range ses châles. (Dépourvue de ce tiroir, l'armoire est alors nommée "armoire de vieux garçon" !).
Apparues vers 1840, ces armoires fameuses sont fabriquées jusqu'à la fin du XIX ème siècle. La technique évolue néanmoins avec le temps, les ateliers se mécanisent peu à peu. Si certains éléments demeurent (les ferrures, en particulier) d'autres changent : les sculptures deviennent plus compliquées, surchargées, allant jusqu'à évoquer le mobilier industriel. Les travaux de Suzanne Tardieu et de Claude Laurencin ont permis d'identifier des artisans installés à Sennecey ou dans les environs. Ils sont plus de cinquante, mais seuls quelques noms nous sont connus et sont associés à des meubles identifiables. Parmi eux, Claude Laborier. Il est installé à Nanton, à deux pas de Sennecey et y est actif de 1840 jusqu'à sa mort, en 1864. Son fils cadet prend sa succession, jusqu'en 1872. Plusieurs meubles lui sont attribués, aux sculptures épanouies, au beau noyer ramageux. Maugin, Petit, Louis Chardigny, Joseph Chaux, installé à Varenne-le-Grand de 1864 à 1893, comptent parmi ces artisans souvent restés anonymes. Ils fabriquent des armoires, essentiellement, mais aussi des "patières", une spécialité locale, (c'est en fait un pétrin installé dans un buffet à deux portes), des tables aux pieds agréablement cambrés, parfois des deux-corps somptueux.
On ne sait rien en revanche des si nombreux sièges, chaises ou fauteuils, à dossier à barrette, finement découpée et sculptée. De style Directoire, mais fabriquées sans doute bien plus tard, jusque vers 1850, ces chaises ne sont sans doute pas spécifiquement bourguignonnes, le modèle en vient directement de Paris. Pourtant leur fréquence et les décors parfois régionaux (la vigne par exemple), l'utilisation des bois fruitiers, font pencher pour une production locale importante... et charmante.
Corbeille de fleurs sur une ceinture d'armoire
fabriquée par Maugin, à Sennecey-le-Grand